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De l’importance du contexte de la publication en matière d’injure publique

Alexandre Couilliot, associé du cabinet Friedland, a obtenu la relaxe d'un prévenu poursuivi devant la 17ème Chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris du chef d'injure publique, aux termes d'un intéressant jugement ayant pris en compte le contexte de publication des propos litigieux. Cette décision est désormais définitive, la partie civile s’étant désistée de son appel en septembre 2020 (le prévenu et le Ministère public n’avaient pas interjeté appel du jugement).



Un particulier était poursuivi par le dirigeant d’une société cotée pour avoir publié sur le forum d’un site Internet spécialisé en information économique et boursière les propos suivants : « *** voleur menteur es croc » et « E.S. Croc, menteur, voleur ».

Pour mémoire, outre une éventuelle nullité de procédure, le seul moyen de défense susceptible d’être invoqué par le prévenu en matière d’injure publique est a priori l’excuse de provocation. Cela implique notamment de démontrer que l’injure proférée l'a été en réponse à une provocation directe et de manière proportionnée, ce afin de lui apporter une forme de justification.

A la différence de la diffamation, le mis en cause ne peut donc normalement pas s’exonérer de sa responsabilité pénale en démontrant sa bonne foi devant le Tribunal correctionnel, laquelle requiert de réunir quatre conditions – absence d’animosité personnelle, prudence dans l’expression, réalisation préalable d’une enquête sérieuse et existence d’un débat d’intérêt général – dont certaines feront nécessairement défaut en matière d’injure.

Un moyen de défense fondée sur la notion de bonne foi est-il donc inévitablement voué à l’échec en matière d’injure publique ? Le contexte de l’affaire ne peut-il pas permettre de comprendre, voire même de « justifier », une publication injurieuse ?

Tel a été notre position devant le Tribunal correctionnel, tant il était possible de puiser dans le contexte ayant préludé aux publications litigieuses des explications et justifications censées et rationnelles aux propos poursuivis.

En l’espèce, un actionnaire minoritaire d’une société cotée avait publié sur le forum d’un site Internet les publications précitées, qui semblaient viser le dirigeant de ladite société.

Après avoir été identifié, cet actionnaire avait fait l’objet d’une plainte avec constitution de partie civile déposée au Tribunal judiciaire de Paris, d’une mise en examen et d’un renvoi devant le Tribunal correctionnel du chef du délit d’injure publique commise par un moyen de communication au public par voie électronique.

Devant le Tribunal correctionnel, la défense s’est attachée à détailler un ensemble d’agissements reprochés au dirigeant par le prévenu dans le cadre de son mandat social, lesquels avaient légitimement pu provoquer une certaine exaspération chez les actionnaires minoritaires et justifier la publication des propos litigieux.

Ces éléments ont été intégralement repris par le Tribunal correctionnel en ces termes :

« En l’espèce, il ressort des débats et des pièces versées par *** que ce dernier est un petit actionnaire de la société *** dirigée par ***, la partie civile. Alors que ce dernier avait indiqué par communiqués de presse aux actionnaires que la plus grosse partie des investissements était derrière eux, il leur a finalement annoncé une augmentation significative du capital de la société à hauteur de 50 millions d’euros, ce qui a pu valablement être interprété par les actionnaires, dont ***, comme un ‘‘mensonge’’, ceux-ci ayant en conséquence subi une augmentation imprévue et une dilution de leur investissement. Surtout, alors que l’action de la société *** ne cessait de chuter au point de perdre 90% de sa valeur, le prévenu explique que la partie civile n’a déclaré que le 8 mars 2016 à l’Autorité des marchés financiers plusieurs cessions d’actions réalisées entre le 21 décembre 2015 et le 8 mars 2016 pour un montant total de 853.429,54 €, tardivement et en dehors des délais légaux, cessions réalisées avant la communication lancée par *** autour de l’augmentation de capital afin d’encourager les investisseurs alors que lui-même cédait son stock d’actions, cession dont les petits porteurs ont eu connaissance longtemps après. De plus fort, le 6 mai 2018, *** a annoncé qu’il quittait ses fonctions de président-général de ***, dont il est resté administrateur. Aussi, *** a pu légitimement se sentir trompé par la partie civile et également la soupçonner de s’être rendue coupable d’un délit d’initié. Ce sentiment peut alors expliquer l’emploi des termes ‘‘menteur’’, ‘‘voleur’’ et ‘‘escroc’’ pour qualifier l’auteur de ces opérations, en l’espèce la partie civile ».

Et d’en conclure que les publications poursuivies constituaient « d’avantage l’expression d’une opinion critique et celle d’un profond ressentiment à l’égard des cessions réalisées par le dirigeant de la société, qu’une volonté de proférer des injures à son encontre, étant précisé que les termes ‘‘menteur’’, ‘‘voleur’’ et ‘‘escroc’’ [renvoyaient] en l’espèce à la critique subjective du comportement professionnel de la partie civile et ne [traduisaient] pas une volonté d’atteindre cette dernière dans sa dignité, et, qu’en tout état de cause, ces propos [n’avaient] pas excédé les limites admissibles de la liberté d’expression dans une société démocratique ».

Le Tribunal correctionnel a enfin indiqué, avant de relaxer le prévenu, qu’une condamnation aurait été disproportionnée et contraire à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales protégeant la liberté d’expression.

Par cette décision, la Tribunal correctionnel a ouvert la voie à un nouveau moyen de défense en matière d’injure publique en permettant au prévenu de s’exonérer de sa responsabilité pénale en expliquant le contexte ayant justifié ses propos, quand bien même il ne pourrait pas exciper d’une provocation directe.

Alexandre Couilliot

Avocat Associé, Friedland AARPI

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