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Loi du 21 mars 2022 : un nouveau statut et une protection renforcée pour les lanceurs d’alerte

Une évaluation de l’impact de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi « Sapin II » du 9 décembre 2016 avait révélé les limites du dispositif français de protection des lanceurs d’alerte. En outre, celui-ci était amené à évoluer du fait de la promulgation de la directive européenne (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.


En réponse à ces constats, une nouvelle loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte a été publiée au Journal Officiel le 21 mars dernier (loi n°2022-401). Parallèlement à l’adoption de cette loi, une loi organique visant à renforcer les prérogatives du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte a été adoptée le même jour (loi n°2022-400).


Ce nouvel arsenal législatif a redéfini et renforcé le dispositif français de protection des lanceurs d’alerte en allant au-delà des dispositions européennes. Il entrera en vigueur le 1er septembre 2022.



Une redéfinition de la notion de lanceur d’alerte (article 6)


Un premier point d’attention réside dans la définition même du lanceur d'alerte, laquelle a été complétée et désigne désormais « une personne physique qui signale ou divulgue sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation, d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».


Du fait de son ambiguïté, la notion de désintéressement a en effet été remplacée par les termes « sans contrepartie financière directe », modification qui vient nécessairement assouplir la recevabilité de l’alerte de manière à étendre son champ d’application.


En outre et spécifiquement dans le contexte professionnel, le lanceur d’alerte ne doit plus avoir eu « personnellement » connaissance des faits qu’il signale et peut désormais signaler des faits qui lui ont été rapportés.


Enfin, le périmètre des infractions et/ou manquements pouvant donner lieu à un signalement a été élargi dès lors que les alertes peuvent désormais porter sur des « tentatives de dissimulation d’une violation d’un engagement international ». Cette introduction de « la tentative de dissimulation » dans la nouvelle définition de l’objet d’une alerte étend de ce fait, le champ de la responsabilité, non pas aux seuls auteurs directs de l’infraction, mais également à ceux qui ont cherché à les couvrir du fait, par exemple, de leur positionnement hiérarchique.


Dans cette optique, la définition de l’article 6 de la loi Sapin II a été repensée de manière à permettre au lanceur d’alerte de signaler de simples « informations » relatives à un crime, un délit ou une violation de la loi sans avoir à démontrer un ensemble d’éléments permettant de prouver la commission d’une infraction et/ou d'un manquement.


Une protection étendue à l’entourage du lanceur d’alerte (article 2)


L’entourage du lanceur d’alerte bénéficie désormais d’un nouveau statut protecteur. Alors que la loi Sapin était restée silencieuse à ce sujet, la loi du 21 mars 2022 a étendu certaines protections offertes aux lanceurs d’alerte à des personnes physiques ou morales qui sont en lien avec ces derniers (facilitateurs, personnes physiques en lien avec un lanceur d’alerte, entités juridiques contrôlées par un lanceur d’alerte, collègues, proches, etc.).


La notion de facilitateur est issue de la transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019, qui la définit comme « une personne physique qui aide un auteur de signalement au cours du processus de signalement dans un contexte professionnel et dont l’aide devra être confidentielle ».


La loi du 21 mars 2022 est allée au-delà des dispositions européennes et a étendu son champ d’application aux personnes morales de droit privé à but non lucratif : « toute personne physique ou toute personne morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation dans le respect de la loi ».


Des mesures de protection renforcées (article 6)


Le renforcement des garanties accordées porte sur la confidentialité, notamment la non-divulgation de l’identité du lanceur d’alerte ou les modalités de conservation de données, mais également sur la liste des mesures de représailles interdites (intimidation, inscription sur une liste noire…).


L’objectif est également d’éviter toute forme de discrimination à l’encontre d’un lanceur d’alerte ou de son entourage.


En outre, la plupart de ces mesures de protection ne sont plus limitées à la personne du lanceur d’alerte puisqu’elles ont été étendues à son entourage.


On retrouve une application concrète de ces dispositions dans la problématique des rapports locatifs. A compter du 1er septembre 2022, il sera en effet interdit de refuser de louer un logement à un locataire en raison de sa qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte.

Des canaux de signalisation simplifiés et plus adaptés (article 3)


Le dispositif de signalement introduit par la loi Sapin II prévoyait des canaux d’alerte en trois temps : un signalement interne par l’intéressé dans son entreprise ou son administration (i), un signalement externe à l’autorité compétente, défenseur des droits ou un organe européen en cas d’échec du premier (ii) puis en dernier recours, une divulgation publique (iii).


Le nouveau cadre législatif reprend les trois canaux mais supprime la hiérarchie en trois temps qui existait à l’origine.


Désormais, le lanceur d’alerte peut choisir entre le signalement interne ou externe.


Cette liberté de choix est bienvenue dès lors que le signalement interne peut s’avérer très délicat à réaliser en pratique.


De surcroît, l’alerte publique ne pourra être mise en œuvre que dans certains cas, à savoir :

  • en absence de traitement à la suite d’un signalement externe dans un certain délai ;

  • en cas de risque de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir ;

  • en cas de « danger grave et imminent » ou, pour les informations obtenues dans un cadre professionnel, en cas de « danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général ».

Il résulte cependant de l’ambiguïté des notions de danger « grave, imminent ou manifeste pour l’intérêt général » un risque d’insécurité juridique pour les justiciables. Des précisions devront être apportées par les décrets d’application et par les tribunaux sur lesdites conditions de déclenchement de l’alerte publique.


Le rôle accru du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte (articles 1 et 3)


Si la compétence du Défenseur des droits se limitait auparavant à une mission de conseil et d’orientation vers les autorités compétentes, la loi organique du 21 mars 2022 a grandement étendu ses prérogatives.


Les missions du Défenseur des droits sont consacrées par l’article 71 de la Constitution et son champ de compétence est défini par la loi organique du 29 mars 2011. Il s'agit de la défense des droits et libertés dans le cadre des relations avec les services publics, la défense et la promotion de l’intérêt supérieur et des droits de l’enfant, la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité, et le respect de la déontologie des forces de sécurité publiques et privées sur le territoire national.


La loi Sapin II du 9 décembre 2016 avait déjà étendu la compétence du Défenseur des droits à « l’orientation et la protection de toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi Sapin II, qui précise le cadre dans lequel le lanceur d’alerte doit agir ».


La loi organique du 21 mars 2022 a parachevé l’extension de la compétence de ce dernier en précisant qu'il interviendra désormais pour « informer, conseiller les lanceurs d’alerte et défendre leurs droits et libertés ».


Ces missions seront conférées à un nouvel adjoint au défenseur des droits chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte.


De surcroît, le Défenseur des droits sera en mesure de recevoir directement les signalements qui relèvent de sa compétence et pourra procéder à leur recueil et traitement « selon une procédure indépendante et autonome ».


Il sera également compétent pour « certifier » au moyen d’un avis la qualité de lanceur d’alerte d’une personne au titre de la protection générale des lanceurs d’alerte ou au titre d’un régime sectoriel de protection.


Dès lors, la loi organique du 21 mars 2022 a manifestement souhaité faire du Défenseur des droits le nouvel interlocuteur privilégié des lanceurs d’alerte.


L’irresponsabilité pénale et civile des lanceurs d’alerte (article 6 et 10-1)


Les lanceurs d’alerte qui réalisent un signalement dans le respect des exigences des articles 6 et 8 de la loi dite Sapin II bénéficient de l’irresponsabilité pénale telle que consacrée par l’article 122-9 du Code pénal. Ainsi, dès lors que le lanceur d’alerte aura eu accès à des documents intéressants un signalement, fussent-ils confidentiels, il pourra les utiliser et les joindre à la procédure sans engager sa responsabilité pénale.


En matière civile, la loi prévoit des causes d’exonération de responsabilité. En effet un nouvel article 10-1, I. de la loi Sapin prévoit l’exonération de la responsabilité civile des lanceurs d’alerte de bonne foi : « les personnes ayant signalé ou divulgué publiquement des informations dans le respect de la loi ne sont pas civilement responsable des dommages causés du fait de leur signalement ou de leur divulgation publique dès lors qu’elles avaient des motifs raisonnables de croire, lorsqu’elles y ont procédé, que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause ».


Pour palier au coût généré par la procédure de signalement, la loi prévoit que le juge pourra accorder une provision pour frais de justice au lanceur d’alerte qui conteste une mesure de représailles ou une procédure qui viserait à le réduire au silence (l’amende civile encourue en cas de procédure « bâillon » contre un lanceur d’alerte est de 60 000 €).


Enfin, si la situation financière du lanceur d’alerte s’est gravement dégradée, ce dernier pourra percevoir une provision supplémentaire.


Ce nouveau dispositif incitatif a de fait été pensé pour offrir au lanceur d’alerte une protection juridique et financière adaptée à la réalité des risques entrepris.


Une déclaration de conformité accompagnée d’une réserve d’interprétation


Le conseil constitutionnel s’est prononcé le 17 mars 2022 sur la constitutionnalité des deux lois du 21 mars 2022 susmentionnées.

S’agissant de la loi sur la protection des lanceurs d’alerte, il l'a jugée conforme à l’exception de l’article 11 qui avait introduit un cavalier législatif.


S’agissant de la loi organique relative au Défenseur des droits, le Conseil constitutionnel a validé les dispositions déférées sous une réserve d’interprétation qui permet au premier ministre de mettre fin aux fonctions de l’adjoint chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte sur proposition du Défenseur des droits.


Une application encore incertaine du nouveau dispositif législatif


Un nouvel arsenal législatif encadre désormais le dispositif français de signalement des alertes.


Cependant, seuls les prochains décrets d’application permettront de juger de l’efficacité et de la sécurité de ce nouveau dispositif. En effet, ceux-ci doivent entre autres, définir les garanties d’indépendance et d’impartialité de la procédure d’enquête, ainsi que les délais de retour d’information fait à l’auteur du signalement.


En outre, une proposition de loi organique devrait apporter des précisions quant aux missions spécifiques du nouvel adjoint au Défenseur des droits en matière de signalement.


Seules des garanties suffisantes permettront de fonder une certaine confiance dans le dispositif de protection des lanceurs d’alerte, l’ignorance et le manque d’information plaçant ces derniers dans un climat d’insécurité préjudiciable pour la pérennité des sources et les chances de succès des dispositifs d’alerte.


Alexandre Couilliot, Friedland AARPI

Avocat Associé, Spécialiste en droit pénal


Article corédigé avec Sarah Grange, Juriste stagiaire

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